Un nouveau monde
1. L’orage
L’orage arriva en grondant, tel un roulement de tambour. Des nuages noirs recouvrirent le ciel, enveloppant la terre d’un manteau de deuil. Un silence total régnait. Pas un humain ne se manifestait, pas un animal ne bougeait, pas un brin d’herbe ne frissonnait : le monde semblait avoir perdu tout mouvement et restait figé.
Brusquement, un éclair gigantesque déchira l’atmosphère, violant l’intimité dans laquelle elle s’était réfugiée. Un vacarme épouvantable prit la place du silence. L’orage, encouragé par son alliée la foudre, reprit sa marche en augmentant la puissance de son tonnerre agressif. Une immense explosion s’éleva dans les airs, emportant avec elle toute trace de vie sur terre : c’était la fin du monde. Même Dieu s’étonna de l’issue tragique de ce qu’il avait créé. Heureusement, comme il est éternel, il ne disparut pas. Mais maintenant il se retrouva seul et, sans existence extérieure, il perdait tout son sens. Il se remit à songer, comme il l’avait fait à la création du monde : comment inventer un autre monde ? Il resta longtemps, très longtemps dans cet état de léthargie. Il avait le temps de réfléchir, puisqu’il était éternel.
Au bout d’un temps qui lui sembla sans fin, il finit par penser qu’il devait agir. La solitude lui pesait réellement. Il chercha de multiples possibilités mais aucune ne lui convenait. Devait-il à nouveau créer le même monde, les mêmes animaux, les mêmes plantes, les mêmes humains ? Il pensa que c’était insensé car une situation identique pouvait se reproduire et il ne voulait pas en prendre le risque. Il ne voulait plus travailler pour « rien ». Il se mit à analyser d’où pouvait bien venir la faille de sa création. Puisque la fin était tragique, était-ce le déroulement de l’évolution de l’Univers qui était en cause ? Il ne pouvait y croire. Peut-être les responsables étaient les animaux ? Cela lui parut improbable. Ou bien les planètes et les astres avaient-ils déréglé le système ? Après réflexion, il comprit que c’était impossible. Alors de qui venait cette destruction totale de l’univers ? Peut-être des humains ? Malgré ses avertissements, Adam avait croqué la pomme. Était-ce la raison ? Il avait bien envoyé son fils, Jésus, pour sauver le monde, mais les humains l’avaient crucifié. Il avait dû trouver un stratagème pour lui redonner vie en le ressuscitant. Il en avait été obligé puisque Jésus faisait partie de lui-même. Ils étaient trois en un : lui, Jésus et le Saint-Esprit. « Un être vous manque et tout est dépeuplé. », avait écrit il ne savait plus quel poète, tellement ils avaient été prolifiques sur terre. Il était bien d’accord avec ce vers car, sans Jésus, sa vie n’avait plus aucun sens, et sans la présence du Saint-Esprit qui les unissait, ils n’avaient plus de rôle.
Ainsi donc, si le monde avait disparu, était-ce à cause des humains ? Il poussa un soupir de soulagement car il ne voulait surtout pas se sentir fautif. Il n’éprouva aucune culpabilité. En revanche, sa solitude devint peu à peu insupportable. Il se refusa de vivre l’éternité seul et examina la dernière possibilité : était-ce le début de la création du monde qui était en cause ? Si tel était le cas, puisque c’était lui, Dieu, qui avait décidé de le créer, avait-il commis une erreur et laquelle ?
Il chercha très, très longtemps mais il ne trouva pas. Il en déduisit que la faute ne lui incombait nullement, d’autant qu’il était parfait. Cela ne résolut pas pour autant son problème : comment rompre sa solitude ? Créer le même monde conduirait inexorablement à sa perte et peut-être même à la sienne : il ne voulait pas prendre un tel risque. Il poursuivit ses réflexions et comprit qu’il devait y associer son imagination créatrice en inventant un nouveau monde.
2. L’étincelle
Effrayante était la solitude de Dieu. Il se sentait de plus en plus isolé, fermé sur lui-même. L’espace vide qui l’habitait, au lieu de se remplir au fur et à mesure comme il l’avait réussi lors de la création du monde, se remplissait de …vide. Il ne voyait que le vide autour de lui et en lui. Étrange sensation que ce vide plein de vide. De plus il s’ennuyait profondément : il ne pouvait plus guider personne et personne ne s’adressait à lui comme au temps des humains croyants qui venaient se confesser de tous leurs péchés, ce qui le remplissait de bonheur. Il leur avait toujours pardonné puisque lui était parfait alors que ses fidèles étaient imparfaits. Ceux qu’il n’aimait pas étaient les mécréants qui se vantaient de pouvoir se passer de lui. Maintenant il n’y avait plus sur terre ni croyants, ni non croyants, ils étaient tous au même niveau : sous terre. Il n’était donc guère avancé.
Dieu avait la tête vide. Il avait beau chercher comment prendre des initiatives : rien ne venait. Ses deux acolytes, Jésus et le Saint-Esprit, étaient dans le même état que lui puisqu’ils ne formaient qu’un. Personne ne pouvait donc l’aider : ni humain, ni divin. Seul, il était désespérément seul.
Il essaya de se replonger dans le passé. Comment avait-il fait pour créer le monde ? Il ne voyait plus les étapes de son invention, c’était comme si sa mémoire avait été effacée par le coup de tonnerre, la foudre et l’explosion. Plus rien, il n’y avait plus rien dans l’espace de ses pensées intérieures, ni dans l’espace extérieur à lui : il ne restait que le vide.
Dieu était tout pouvoir et il ne pouvait plus rien inventer, ni faire. Son existence était en voie de disparition et, si lui disparaissait, alors qui pourrait créer un monde nouveau ? L’évidence de la réponse lui apparut comme écrit en lettres immenses dans le vide : le vide !
Était-il possible que le vide puisse devenir un créateur ? Dieu se mit à imaginer comment le vide pourrait créer un nouveau monde et surtout quel monde. Le vide pouvait-il engendrer le plein ? Par quel miracle cela serait-il possible ? Est-il possible d’inventer à partir de rien ? Il resta dubitatif longtemps, très longtemps. Il finit par s’endormir. Or, depuis toujours, il n’avait jamais dormi, car il n’en avait pas le droit. Et pourtant c’est ce qu’il se passa : Dieu s’endormit un temps qui ressemblait à l’éternité.
C’est alors que, dans son sommeil, apparut une petite étincelle, toute petite certes, mais elle éclaira son regard intérieur. Il sursauta et se réveilla : l’évidence lui apparut enfin : l’espace était vide, le temps ne l’était peut-être pas ! Il se secoua et décida de se mettre à la recherche du temps.
3. Le murmure
Dieu avançait dans l’espace vide et espérait trouver le temps plein sans en connaître la réelle signification. Il sentait en lui que la solution pour créer un nouveau monde s’y trouvait. Il marchait vers le temps pour le trouver, mais en vain. Où se cachait-il donc ? Ne voyant rien autour de lui que le vide, il allait abandonner lorsqu’il perçut un murmure à peine audible. Captivé par cet étrange phénomène qu’il ne voyait pas mais qu’il entendait, il se dirigea dans sa direction : le murmure amplifia au fur et à mesure. Il avança longtemps, très longtemps et l’entendit de mieux en mieux. Surpris, il finit par comprendre qu’il n’était plus seul, mais, chose étrange : il ne voyait rien apparaître. Le son augmentait sans prendre corps dans le vide. Son expédition dura une éternité. Et, tout à coup, il comprit qu’il avait découvert le temps éternel : celui qui n’a jamais de fin. Cela le remplit de joie car il réalisa que sans le temps il ne serait pas Dieu. Il devait donc apprivoiser ce murmure pour en faire son allié.
Créer un monde infini dans l’espace et le temps assurerait qu’il ne pourrait jamais disparaître. Ce nouveau monde allait naître du vide de l’espace pour devenir un monde nouveau grâce à l’éternité temporelle.
Dieu avait donc compris comment refaire un nouveau monde mais il lui restait à savoir ce qu’il pouvait y mettre dedans. Il avait fait l’expérience avec la nature, les animaux, les quatre éléments et les humains, ce n’était donc pas envisageable de recommencer : mais que pouvait-il mettre à leur place ? Il se mit à réfléchir un temps qui lui semblait être une éternité et pour cause : son infini d’espace s’était allié avec l’infini du temps. Quelque chose manquait donc pour arrêter ce mouvement mais quoi ? Tout était là. Il chercha, se tritura la cervelle dans tous les sens, mais une fois de plus : rien ne vint. Il comprit définitivement qu’il n’était ni parfait, ni infaillible. Ce fut un grave problème auquel il lui fallait absolument remédier.
Accompagné de Jésus et du Saint-Esprit, il se remit en route pour trouver comment créer ce nouveau monde.
4. Les trois portes
Ils arrivèrent devant trois portes. Dieu se demanda ce qui se trouvait derrière, lorsqu’il vit une pancarte sur chacune d’elles. Sur la première était écrit en lettres majuscules : PARADIS. Sur la seconde : PURGATOIRE. Sur la troisième : ENFER.
Il resta dubitatif quelques minutes et réalisa tout à coup qu’il avait également créé le Paradis pour que les humains puissent avoir une autre vie après leur mort, que Lucifer avait créé l’enfer pour contrer Dieu et essayer de récupérer tous les humains qui avaient commis des péchés. Concernant le purgatoire, il ne se rappelait plus qui avait eu cette idée mais il en déduisit que c’était une sorte de passage avant le paradis pour les êtres humains qui ne s’étaient pas encore repentis de leurs péchés. Il fut ravi à l’idée que Lucifer avait moins de locataires dans son espace que lui qui avait en fait deux espaces.
C’est ainsi que Dieu réalisa qu’il n’était pas seul comme il le croyait. Il en informa Jésus et le Saint-Esprit qui étaient présents en lui. Tout le monde fut d’accord sur cette certitude : le monde réel avait certes disparu physiquement mais les âmes des humains étaient restées. Et bien sûr cela changeait tout !
Il repensa à la création du monde. Au départ il n’y avait rien et il avait dû passer six jours pour le créer. Le septième jour il avait pu se reposer, épuisé. Il était parti de rien, du vide pour créer l’univers, mais maintenant la situation était différente puisque les trois espaces, le paradis, le purgatoire et l’enfer, contenaient des âmes.
Il jubilait. Il n’était plus seul ! Un immense poids le quitta. Il devait juste maintenant construire son nouveau monde à partir des âmes qui y habitaient après avoir quitté leur ancien monde.
5. La construction du nouveau monde
Dieu, qui aimait la perfection, décida d’ouvrir la porte du paradis. Il fut surpris d’y voir une infinité d’âmes et il se mit à penser qu’il aurait à nouveau beaucoup de travail pour les faire entrer dans son nouveau monde. Après réflexion, il se dit qu’elles avaient l’air si heureuses ensemble que ce serait vraiment dommage de rompre leur unité et leur harmonie. Il referma délicatement la porte pour ne pas être vu et continua son chemin en direction de la porte de l’enfer. Lorsqu’il l’ouvrit il entendit un vacarme épouvantable et reçut de telles bouffées de chaleur qu’il referma aussitôt la porte. S’aventurer à créer son nouveau monde avec les habitants de l’enfer aurait été pire folie. Il ne lui resta plus qu’une seule solution : espérer que derrière la porte du purgatoire il trouverait son bonheur. Assisté et encouragé par son fils, Jésus, et leur ami, le Saint-Esprit, il ouvrit la porte du purgatoire. Des âmes ni bonnes, ni mauvaises y habitaient toutes ensemble. Elles ne semblaient pas parfaites mais se respectaient les unes les autres. Dieu pensa que son nouveau monde pourrait accueillir toutes ces âmes et il en fut ravi car il réalisa que, puisqu’elles n’étaient pas parfaites, mais pas imparfaites non plus, il n’aurait pas beaucoup de travail à faire pour les y insérer. Il avança et expliqua à l’assemblée des âmes du purgatoire son projet de création d’un nouveau monde. A la fin de son intervention, il leur demanda lesquelles d’entre elles accepteraient son invitation. Le succès fut total : elles voulurent toutes rejoindre ce nouveau monde inconnu, donc intéressant.
Dieu, Jésus, et le Saint-Esprit repartirent avec toutes les âmes du purgatoire qui, de ce fait, n’exista plus.
Un nouveau monde apparut : ni bon, ni mauvais ; ni parfait, ni imparfait. Et Dieu se dit que cela était bien.
Ce monde ne ressemblait pas à l’ancien monde terrestre : tous les habitants se respectaient. Les différences étaient devenues des richesses. Chacun vivait son bonheur et l’offrait aux autres, de telle sorte qu’il grandissait de jour en jour.
Les valeurs fondamentales constituaient le ciment des relations : amour, amitié, respect, solidarité, entraide, justice, gratitude et tant d’autres qu’il n’était pas possible de les énumérer toutes.
Ce nouveau monde, Dieu avait enfin réussit à le créer mais il songea tout à coup qu’il ne fallait surtout pas que la même erreur se reproduise que lorsqu’il avait créé son premier monde : ne pas donner la possibilité du choix entre obéir ou désobéir, céder ou résister à la tentation. Son idée de la pomme qu’il avait donnée à Adam et Eve avait créé le péché et toutes les mauvaises actions des humains.
C’est alors que Dieu comprit qu’il n’était pas aussi parfait qu’il le pensait, ce qui fut un véritable cas de conscience pour lui car, s’il n’était pas parfait, alors qui l’était ? Dieu se sentit coupable d’avoir tenté Adam et Eve. Il n’avait encore jamais ressenti ce sentiment de culpabilité et fut très surpris du malaise que cela pouvait engendrer. Il en parla à Jésus et au Saint-Esprit qui se sentirent aussi coupables que lui. Aucun d’eux n'était parfait, ni au-dessus des habitants du nouveau monde. Ils n’étaient ni meilleurs, ni pires. Ils découvrirent l’égalité et, de ce fait, au lieu de rester à leur place, Dieu, créateur de l’univers, son fils, Jésus et l’union des deux, le Saint-Esprit, intégrèrent tous les trois ce nouveau monde dont personne ne peut savoir ce qu’il deviendra, ni combien de temps il durera.
Danièle Berry, 25 janvier 2025
Date de dernière mise à jour : 25/01/2025
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