La fontaine de contes
Description :
Série de trois tomes regroupant les cent trente contes symboliques que j'ai écrits de 2011 à 2021.
Premier extrait :
Monsieur « Pas le temps » et Madame « Trop de temps »
Monsieur « Pas le temps » et Madame « Trop de temps » vivaient ensemble depuis belle lurette.
Comme son nom l’indique, Monsieur « Pas le temps » n’avait jamais le temps. Son temps était sacré et il n’était pas question de l’étirer à volonté. Le temps qui était prévu était une durée limitée et il ne fallait pas la dépasser.
En revanche « Madame Trop de temps » ne voyait jamais le temps passer qui s’étirait sans compter. Elle était toujours surprise quand elle s’apercevait que la durée qu’elle avait prévue était réduite à néant puisqu’elle n’en avait pas respecté sa fin.
Monsieur « Pas le temps » était toujours énervé par l’insouciance de sa femme et il lui en faisait régulièrement la remarque, ce qui évidemment la culpabilisait ou l’énervait.
Madame « Trop de temps » aimait suivre le cours du temps suivant ses envies et le plus souvent son temps passait sans s’en rendre compte car l’extérieur l’envahissait, que ce soient ses visiteurs qu’elle n’avait en fait jamais envie de voir partir ou toutes les activités qu’elle affectionnait particulièrement et qu’elle ne voulait jamais cesser.
Alors Monsieur « Pas le temps » tempêtait la plupart du temps, argumentant qu’une fois de plus elle s’était fait envahir, ce qui l’empêchait inévitablement de pouvoir réaliser ce qu’elle aurait dû faire pendant le temps qu’elle avait dispersé et perdu à tort. Et cette attitude inconsidérée l’énervait fortement même s’il disait qu’il ne s’en occupait plus puisque de toute façon cela ne servait à rien.
Madame « Trop de temps » savait très bien que son mari ne pouvait pas faire autrement que de s’en occuper puisqu’il comptait les heures, les minutes et les secondes qui s’écoulaient au-delà de ce qui était prévu.
Le temps de Monsieur « Pas le temps » n’avait pas la même valeur que celui de Madame « Trop de temps » et il ne fallait ni le faire attendre ni dépasser les horaires prévus. Même quand Madame « Trop de temps » faisait des efforts et qu’elle parvenait pendant de longues périodes à bien gérer le temps imparti, elle savait pertinemment qu’à la moindre défaillance Monsieur « Pas le temps » lui tomberait dessus pour lui faire remarquer son dérapage de façon très désobligeante.
Tous deux souffraient donc et il était bien difficile de trouver un équilibre.
Madame « Trop de temps » devait trouver un moyen de régler sa tendance à toujours faire « trop », « trop de temps », trop ceci, trop cela et Monsieur « Pas le temps » devait trouver un moyen pour accepter des décalages horaires quand ils n’avaient pas de conséquence néfaste pour la suite des journées, ce qui de son point de vue ne pouvait être le cas.
Et c’était bien cet équilibre qui était difficile à gérer.
Chacun devait y mettre du sien et il était bien clair que Monsieur « Pas le temps » gérait son temps spatialement puisque les durées étaient en réalité associées aux actions à réaliser et que l’étirement du temps d’une action empiétait nécessairement sur l’action suivante, ce qui déséquilibrait totalement la conception de ses journées. Quant à Madame « Trop de temps » de toute façon elle n’avait aucune notion de la durée réelle des actions et cela expliquait son incapacité à diriger son temps et c’est finalement ce qui désespérait Monsieur « Pas le temps » qui n’aimait pas se laisser déborder.
Ainsi donc lequel des deux devait le premier accepter de s’adapter à l’autre pour ne plus entrer en conflit ? Était-ce Madame « Trop de temps » qui devait mieux gérer son temps ou Monsieur « Pas le temps » qui devait davantage accepter les intrusions dans son temps ? La question est ouverte !
Deuxième extrait :
Le puits
C’était un puits sans fond. Contrairement aux autres puits, celui-ci n’avait pas de fin. Lorsqu’on se penchait pour voir le niveau de l’eau, il était impossible de savoir s’il y en avait ou pas, car on ne voyait que de la lumière éternelle. Et pourtant, en plongeant un seau jusqu’au bout de la corde qui entourait la poulie, puis qu’on le remontait, le poids indiquait déjà qu’il n’était pas vide. Et encore plus surprenant, en le posant sur la margelle, on constatait qu’il était plein à ras bord.
Dans le village, tout le monde savait que ce puits était magique et tous les habitants s’y rendaient journellement pour remplir leurs réserves. De plus cette eau était délicieuse, meilleure que toutes les eaux de source connues de la planète terre ! Chacun était bien conscient de la chance qui avait été donnée au village de posséder un tel puits et, même si personne ne savait, ni comment c’était possible, ni qui l’avait construit, tout le monde en profitait. Que ce soit pour boire, pour abreuver les animaux, pour se laver … tout le village profitait de ce don du ciel.
La vie s’écoulait ainsi joyeusement. Il régnait une douce quiétude que rien, ni personne ne semblait pouvoir interrompre. Le maire était si heureux de ses administrés qu’il avait même décidé de renommer le village, de sorte que l’ancien nom avait disparu. La nouvelle pancarte avait été placée à l’entrée du village, mais il n’y en eut pas à la sortie, car à l’unanimité il avait été décidé lors d’un vote, qu’on entrait dans le village mais qu’on n’en sortirait plus. C’était un peu à l’image du puits : on y voyait l’ouverture mais pas le fond. Était-ce le besoin de se croire éternel ? Toujours est-il que la vie semblait ressembler à ce puits : sans fin.
C’est pourquoi le village se nommait dorénavant : « Le village sans fin du puits sans fond ».
Ce village fonctionnait en réalité en autarcie et ne recevait donc aucun touriste, mais cela ne posait de problème à personne. Au moins il était préservé de l’évolution et gardait ses traditions, car il n’était pas question de les perdre et c’était parfaitement ancré dans la tête de chaque habitant.
Voici qu’un jour arriva une voiture rutilante. Elle stoppa brusquement au panneau du village. Le conducteur, vêtu d’un costume et d’une paire de chaussures brillante, en descendit et s’approchant du panneau, se gratta la tête en se demandant où il était arrivé. Il haussa les épaules puis remonta au bord de son bolide, entra dans le village en faisant crisser les pneus et stoppa sur la place. Tous les habitants sortirent en même temps de leurs maisons, ou ouvrirent les fenêtres, et ceux qui étaient sur la place, s’arrêtèrent de marcher ou de puiser l’eau du puits, stupéfaits d’une telle intrusion. Et ils furent encore plus surpris, lorsqu’ils virent l’homme s’approcher du puits et passer devant la queue pour prendre la première place.
- Eh ! Non mais, ne vous gênez pas ! Lui cria une villageoise.
- Quel est le problème ? Lui rétorqua l’homme sans gêne.
- Vous ne voyez donc pas qu’il y a la queue pour se servir ? De plus, qui vous a donné l’autorisation de vous approcher de ce puits ?
- Oh, c’est tout simple, vu le nom de votre village, je me suis demandé pourquoi ce puits était « sans fond », d’autant que c’est strictement impossible. D’ailleurs je me suis fait la même remarque pour votre village soi-disant « sans fin ».
- Ne vous avisez pas de puiser de l’eau, lui lança un villageois. Et d’abord qui êtes-vous donc, « Môssieur », qui me paraissez bien prétentieux habillé comme vous l’êtes ?
- Oui, c’est certain que côté habits, cela n’a rien à voir avec vous ici. Vous me semblez en retard sur votre temps ! Et pour répondre à votre question, sachez que je suis tout simplement un promoteur et que je suis à la recherche de lieux pour construire des immeubles. Et si ce puits est effectivement sans fond, donc je suppose qu’il y a toujours de l’eau, votre village est l’endroit rêvé pour attirer du monde. Imaginez, vous seriez connus et votre activité deviendrait florissante !
Le maire, alerté par un de ses administrés, arriva sur ces entrefaites et après avoir ajusté son unique cravate, se campa derrière le promoteur et lui dit :
- Si je comprends bien, vous cherchez à vous enrichir sur notre dos ! Eh bien, à mon avis, vous n’y parviendrez pas, car ici tout le monde s’entend très bien et de plus je ne suis pas certain que notre puits accepterait de vous laisser la moindre goutte d’eau ! C’est notre puits et personne ne nous le prendra !
- C’est ce qu’on va voir !
Le promoteur retourna à son véhicule et se saisit de son téléphone mobile pour passer des directives à son équipe.
A partir de ce jour, ce fut une vraie catastrophe qui s’empara du village. Des camions, des grues et tout un tas de matériel envahirent la place. Des ouvriers arrivèrent pour commencer les travaux. Les habitants étaient tellement désemparés qu’ils se cloîtrèrent chez eux.
Comme par miracle il se mit à faire chaud, de plus en plus chaud. Le promoteur et ses ouvriers décidèrent de plonger le seau du puits pour remonter de l’eau. Chacun à son tour tentait la manœuvre, mais curieusement le seau remontait vide ! C’était à n’y rien comprendre du tout. Pourtant ce puits était réputé pour être sans fond mais toujours plein, alors comment une telle chose était-elle possible ?
Toujours était-il qu’aucun des intrus ne put s’abreuver, ce qui posa rapidement un problème. Les ouvriers avaient commencé à percer le macadam de la place, le promoteur avait tout prévu, ses plans étaient prêts, mais impossible de faire du ciment sans eau ! Il fut surpris de constater qu’aucune maison n’était alimentée, car il n’y avait pas de canalisation et encore moins de robinet ! Comment était-ce possible de vivre ainsi au vingt et unième siècle ? Des fous, il était tombé dans un village de fous !
Lorsque que le maire et ses administrés comprirent ce qui se passait, ils affichèrent un sourire radieux. Alors tous les habitants sortirent de chez eux, allèrent sur la place et se moquèrent de concert du promoteur et de ses acolytes.
- Vous voyez bien, qu’est-ce que je vous avais dit ? Lança le chef du village au promoteur. Vous pouvez plier bagage avant que nous ne vous chassions, c’est vraiment ce que vous auriez de mieux à faire. Et un conseil : ne cherchez pas à sortir du village en marche avant, car vous n’y arriverez pas. Rebroussez chemin, ici il n’y a pas de pancarte de sortie !
Après bien des manœuvres, les camions, grues et camionnettes repartirent en marche arrière, car lorsque les ouvriers virent que le promoteur était coincé à l’autre bout du village sans pouvoir en sortir, ils se dirent qu’il valait mieux suivre le conseil du maire. Tout le monde déguerpit plus vite que prévu et sans demander son reste.
Les villageois, soulagés, refirent la queue pour se servir de leur eau qui ne les avait pas trahis. Ils bouchèrent les trous et tout redevint calme.
Une grande fête fut décidée pour célébrer ce merveilleux jour et remercier le puits sans fond. Un feu d’artifice fut même lancé pour l’occasion.
Le village avait repris sa vie d’avant, ses habitants savourèrent leur vie bien tranquille et retrouvèrent leur unité.
Que devint le promoteur ? Personne ne le sut, car on ne l’avait pas trouvé à l’autre bout du village, on ne l’avait pas vu repasser par l’entrée … Il semblait avoir totalement disparu, mais personne ne s’en souciait. Après tout, c’était sa faute. Alors puisqu’il savait tout sur tout, c’était à lui de trouver une issue à son problème, si tant est qu’il en existait une !
Date de dernière mise à jour : 19/08/2023
Ajouter un commentaire