L’Horloger du Temps
L’Horloger du Temps était épuisé. Depuis la création de la Terre, il ne cessait de tourner les aiguilles de la grande pendule de l’Univers et ce travail, qu’il avait produit avec beaucoup d’assiduité depuis la nuit des temps, l’avait éreinté.
Il vieillissait tous les jours un peu plus et commençait à penser qu’il lui faudrait bien un successeur pour accomplir cette lourde tâche.
Comme il ne savait pas par où commencer, il fit appel au Temps.
- Je suis très ennuyé, car je pense que j’aurais besoin d’un successeur pour tourner les aiguilles de votre pendule. Je suis hélas très fatigué et j’ai peur de ne pouvoir poursuivre plus longtemps cette mission indispensable à la survie de l’Univers. Pourriez-vous me donner quelques conseils pour trouver celui qui pourrait me succéder ?
- Je comprends tout à fait votre lassitude et vous félicite d’avoir si bien géré les aiguilles de ma pendule. En effet vous avez su maîtriser la ronde des saisons, la ronde des ères, malgré tous les changements climatiques.
Alors voici mon conseil : pourquoi ne lanceriez-vous pas ce que l’on nomme actuellement « un appel d’offre » ? Vous savez, tout comme moi, qu’il est bien plus facile qu’autrefois de procéder à ce genre de recherche, les ordinateurs créés par les hommes ayant permis une grande évolution technologique.
- Ah effectivement, cela serait une excellente idée. Je peux sans souci demander à mes amis ordinateurs de lancer ce genre d’offre. Mais ce que je ne sais pas, c’est comment rédiger le texte et encore moins comment choisir celui qui correspondrait le mieux ?
- Eh bien, cher Horloger, vous n’avez qu’à écrire tout simplement « Je cherche un successeur pour gérer la grande pendule du Temps. Pas sérieux, s’abstenir. » Et pour le choix, attendez donc de voir quelles réponses vous aurez. Ensuite il ne vous restera plus qu’à convoquer les postulants pour choisir celui qui conviendra à cette occupation indispensable au Monde.
- Très bien, je vous remercie, j’envoie dès à présent ce texte par e-mails. Je vous tiendrai au courant.
- Pas de souci, j’ai tout à fait confiance en vous, répondit le Temps en tournant les talons et en rejoignant l’Espace qu’il avait quitté un instant.
Aussitôt dit, aussitôt écrit, la missive partit tous azimuts vers tous les ordinateurs de la planète Terre.
En attendant des réponses, l’Horloger du Temps se remit au travail pour ne pas provoquer un cataclysme universel. Le Temps différait suivant les continents et les pays, suivant les astres et les planètes et il n’était pas question de semer la panique en arrêtant de faire tourner les aiguilles de sa pendule. Il jeta donc un rapide coup d’oeil sur le calepin dans lequel il consignait les différents lieux et les heures qui s’y rapportaient et reprit son rythme. Il était très organisé et heureusement, car gérer le temps n’est pas une affaire si simple ! Pour lui, tout était une question d’organisation et il se mit tout à coup à penser que son successeur devait absolument présenter cette qualité sinon ce serait la débandade !
Alors, malgré sa fatigue, malgré ses doutes, inlassablement il tournait, tournait, tournait les aiguilles et le Monde continuait à suivre le cours du Temps.
Au bout de quelque temps, au moment où il n’y pensait plus, il reçut une première réponse. Quelqu’un paraissait intéressé par sa proposition ! Mais comme il ne voulait pas se précipiter, car il savait que la vitesse est mauvaise conseillère, il préféra ne pas répondre immédiatement et attendit d’autres candidats.
Il tournait les aiguilles, comptait les heures, les minutes, les secondes pour ne pas s’emmêler et oublia la réponse, espérant en recevoir de nouvelles. Hélas, rien de plus n’arriva, alors il se décida à répondre à ce candidat unique et le convoqua pour un entretien d’embauche, puisque c’est ainsi que les humains nomment ce préliminaire à tout contrat.
La date et l’heure étaient fixées et il se prépara à recevoir ce successeur potentiel qu’il espérait tant.
Le pauvre Horloger attendait, attendait mais en vain. Les horaires n’étaient pas respectés et personne ne se présenta. Il pensa que la réponse était un canular, comme il arrivait souvent sur internet, c’étaient ses amis, les ordinateurs, qui le lui avaient dit un jour, mais il ne se rappelait plus exactement quand, preuve qu’il se fatiguait bien. Auparavant, jamais il n’oubliait rien et maintenant s’il ne notait pas tout ce qu’il faisait sur son calepin, tout lui échappait !
Déçu, il se remit au travail après une courte pause.
C’est alors qu’arriva un personnage tout éparpillé. Il était apparu en courant et en dérapant et s’excusa de son retard.
- Eh bien, mon jeune ami, vous en avez mis du temps pour arriver jusqu’à moi ! Vous êtes en retard !
- Oui, veuillez m’excuser, mais mon réveil n’a pas sonné et j’ai loupé l’heure de votre rendez-vous.
- Votre réveil n’a pas sonné, dites-vous ? Mais vous avez plus de trois jours de retard ! Lança l’Horloger éberlué.
- Ben oui, et donc, comme il n’a pas sonné le bon jour, du coup j’ai dû différer ma venue, car j’avais d’autres rendez-vous prévus. Et justement maintenant je suis disponible et donc me voici ! Mieux vaut tard que jamais, non ?
« Ça commence bien », pensa le pauvre Horloger, totalement dépité.
- Bon, pouvez-vous m’expliquer en quoi consiste la profession que vous me proposez ? Questionna le jeune homme sans vergogne.
- Oh, il ne s’agit nullement d’une profession, mais d’une lourde responsabilité ! Répondit l’Horloger stupéfait par le sans-gêne de cet étrange Terrestre.
- Ben allez-y, je vous écoute ! Il n’y a pas que quoi en faire une pendule !
- Oh dites donc, jeune homme, vous êtes d’une grande impolitesse ! Cessez donc de critiquer ma pendule, car sinon je vous mets dehors illico !
- Mais attendez, cette expression signifie qu’il ne faut donner de l'importance à quelque chose d'insignifiant, se mettre en colère pour peu de chose ! S’esclaffa le jeune impertinent. Bon je vous écoute !
- Oui, mais cela ne commence pas très bien ... Je n’aime pas vraiment le langage actuel ... Vous savez, je suis de la vieille époque qui remonte à la création de l’Univers !
- Ah ben alors cela ne m’étonne pas que vous soyez si fatigué ! Et si vous preniez quelques congés avant de vous décider à m’embaucher sérieusement ? Cela pourrait vous reposer un peu, moi me permettre de comprendre en quoi consiste cet étrange boulot ... Et si je vous conviens, alors je pourrais vous remplacer définitivement et si je ne vous conviens pas, alors je retournerai dans mes pénates !
Et le vieil Horloger, qui n’en pouvait plus d’entendre parler de la sorte, se mit à tout expliquer à son visiteur. Il lui décrivit comment régler l’alternance des nuits et des jours suivant leur position sur le globe terrestre, les saisons, les fuseaux horaires, les heures, les minutes et les secondes suivant les pays, le repérage des jours et des nuits en fonction du soleil et de la rotation de la Terre, le flux et le reflux des marées en fonction des phases de la Lune. Il lui montra son calepin en lui conseillant de tout noter à son tour pour ne rien oublier et surtout ne rien mélanger et à la fin de son discours, qui dura plus longtemps que prévu, il conclut avec ces paroles :
- Avez-vous compris, jeune homme ?
- Mais bien sûr ! Vous avez très bien détaillé et, de plus, j’ai fait des études au collège. J’ai de bonnes bases, donc ne vous inquiétez pas, allez vous reposer, je prends tout en charge !
- Vous êtes sûr ? Vous croyez que vous pourrez vous en sortir tout seul ?
- Oui, oui, puisque je vous le dis ! Bon, à plus tard, revenez dans quelque temps, mais laissez-moi faire à ma guise, je vous assure que vous ne serez pas déçu ! Assura le jeune homme en poussant l’Horloger du Temps vers la sortie.
« Bon, ouf, ce vieux fou est parti, je vais enfin pouvoir travailler », pensa-t-il en posant les poings sur ses hanches.
Et il se mit à l’ouvrage, ça oui ! Il était pressé et mélangeait tout, les nuits étaient devenues les jours et les jours étaient devenus les nuits, de sorte qu’au lieu de se lever et de partir au travail, les Américains allaient se coucher et les Français se levaient et partaient au travail au lieu d’aller se coucher. Les saisons se déréglèrent tant que les oiseaux migrateurs partaient des pays chauds pour se rendre dans les pays froids, puis ne comprenant pas pourquoi ils avaient froid au lieu d’avoir chaud, ils repartaient en sens inverse. Leur ballet dans le ciel était incessant et ils y perdaient la tête et leurs plumes. Les écureuils, hérissons, loirs, et tous les animaux de la terre qui hibernaient à la fin de l’automne, se mirent à hiberner en été, de sorte qu’ils finissaient par être affamés.
Bref ! Tout était sans dessus dessous et le Temps qui en avait assez de cette anarchie, décida de trouver l’Horloger du Temps.
- Ah, je vous trouve enfin ! Mais qu’avez-vous donc trouvé là ? Quel est cet hurluberlu qui dérègle tout ? Vous avez vu ? Mais c’est une catastrophe ! Même moi, je ne sais plus où donner de la tête, si j’ose dire ! Si cela continue ainsi, au lieu d’être le Temps, je vais devenir l’Espace, ce qui serait le plus grand des affronts qui pourrait m’arriver !
L’Horloger, qui connaissait bien l’inquiétude permanente du Temps de rester lui-même et de ne pas être métamorphosé en Espace, le rassura en lui disant :
- Oui, cela ne va pas du tout ... J’ai observé ce qui se passe et je vais jeter dehors cet imposteur qui a l’air de faire exprès de tout chambouler pour perturber les conventions et l’organisation depuis que le Monde est né !
- Et vous allez chercher un autre remplaçant ? Interrogea inquiet le Temps.
- Oh non, figurez-vous que pendant cet arrêt, je me suis un tantinet ennuyé et j’ai compris que travailler permet de rester jeune. J’ai réalisé que j’ai beaucoup de chance de travailler autant, car finalement je suis très, très vieux et c’est donc bon signe ! Finalement je n’ai pas du tout envie de prendre ma « retraite », comme on dit sur la Terre et si je ne la prends jamais, cela signifiera finalement que je suis immortel et cette idée me plaît bien ! Répondit l’Horloger du Temps en souriant.
- Ah ! Vous me rassurez, cher Horloger, car sans vous je ne pourrais plus exister ... Vous m’êtes indispensable puisque je suis éternel !
Le Temps et son Horloger convinrent ainsi de ne jamais se séparer et l’Horloger ne se plaignit jamais plus de fatigue.
Quant au jeune homme qui avait semé tant de panique, l’histoire ne dit pas comment il a été mis à la porte, mais peut-être en avez-vous une petite idée ?
Danièle Berry, 25 novembre 2013
Date de dernière mise à jour : 28/06/2022
Commentaires
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- 1. Charue Nicole Le 01/07/2022
Enfant,ayant appris à lire la musique ,à la jouer au piano avant de savoir lire,j'y exprimais ma joie ou ma colère!( méthodique ,j'utilisais un métronome ,acquérir de la vitesse d'exécution me mettait en joie!)
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