La carte de coeur
Le jeu de trente-deux cartes était dans tous ses états ! Il comptait et recomptait et ne trouvait que trente et une cartes ! Une carte avait donc disparu mais il ignorait laquelle. Il décida de partager son petit monde en deux tas en regroupant ses cartes rouges et ses cartes noires.
Il compta à nouveau ses deux tas et trouva seize cartes noires d’un côté et quinze cartes rouges de l’autre côté. Mais il se rendit compte qu’il n’en était pas plus avancé car laquelle de ses cartes rouges manquait à l’appel ? Alors il enleva les quatre as qui, comme leur nom l’indiquait, ne faisaient jamais d’erreur et donc répondirent présents à l’appel immédiatement, mit les cartes noires de côté puis il s’empara de ses cartes rouges. Comment allait-il faire pour trouver la manquante ?
Il décida de classer les cartes de carreau de la plus petite à la plus grande, du 7 au roi de carreau mais aucune ne manquait. Alors il en fit de même pour celles de cœur : 7, 8, 9, 10 …elles étaient toutes là. Il continua donc : valet, dame … Ah il manquait le roi de cœur !
Cette fois il savait quelle carte avait disparu mais il ne s’en trouva guère plus avancé car la question était maintenant de savoir où elle était !
Alors le jeu demanda à toutes ses cartes - excepté aux as qui eurent l’autorisation d’observer la scène de loin tranquillement - de se rassembler et il leur tint ce discours :
« Le roi de cœur a disparu et personne d’entre vous ne m’en a informé ! L’avez-vous vu s’échapper ? Vous a-t-il dit quelque chose ? Savez-vous où il se cache ? Vous comprenez bien que si nous ne le retrouvons pas notre situation sera très critique ! Et surtout nous n’aurons plus aucun sens d’existence puisque personne ne pourra nous utiliser pour jouer ! Pensez donc, jouer avec une carte en moins, ce n’est pas possible ! ».
Toutes les cartes se regardèrent consternées. Elles se rassemblèrent et se demandèrent comment retrouver le dissident.
Les trois rois qui se trouvaient encore dans le jeu décidèrent d’organiser leurs troupes respectives. Le roi de carreau rangea la sienne en file indienne, sa dame en tête et ensuite en ordre décroissant. Le roi de pique organisa sa troupe par deux : la dame avec le valet, le dix avec le neuf, le huit avec le sept. Le roi de trèfle demanda à ses amis de se regrouper comme ils en avaient envie. Mais c’était le fouillis et le roi de trèfle eut bien des difficultés à se faire respecter. Quant à la troupe des cœurs, le problème était encore bien différent puisque le roi avait disparu ! Il fallut que la reine prenne la direction des opérations, ce qui bien sûr était inhabituel Après un brouhaha indescriptible tout s’organisa : la dame avec le valet car elles appartenaient au monde des figures et le sept, le huit, le neuf et le dix se retrouvèrent ensemble puisqu’ils appartenaient au monde des nombres.
Les quatre petites armées se mirent en route dans quatre directions différentes : le rang des piques prit celle du nord, le groupe des cœurs alla vers le sud, les carreaux partirent vers l’est et le groupe des trèfles courut en désordre vers l’ouest.
Et chaque troupe chercha à sa manière le roi de cœur qui avait disparu.
Les piques cherchèrent en direction du nord logiquement où était caché le roi de cœur. Etait-il parti faire des emplettes ? Dans ce cas il fallait se rendre dans tous les magasins du coin. Et, conduits par le roi seul en tête, deux par deux, la dame avec son valet, le dix avec le neuf, le huit avec le sept, ils se répartirent les différents lieux dans lesquels se trouvaient les boutiques. Et systématiquement, logiquement ils cherchaient le roi de cœur.
La troupe des cœurs partit en avant vers le sud, la dame avec son valet à son bras, et les nombres côte à côte. Ils cherchaient à droite et à gauche ce roi de cœur qui embêtait bien tout le monde avec ses facéties et qui les avaient vraiment mis dans l’embarras !
Les carreaux marchaient l’un derrière l’autre vers l’est tous en même temps, une deux, une, deux, leurs jambes se levant et s’abaissant au même moment dans un parfait mouvement d’ensemble. Ils se faufilaient dans tous les coins et les recoins pour trouver le récalcitrant.
Telle une nuée d’oiseaux en état d’ébriété, les trèfles partirent ventre à terre dans tous les sens mais le roi parvint malgré tout à maintenir le cap vers l’ouest. Ils cherchaient en désordre complet le roi de cœur en s’époumonant de telle sorte que le tintamarre était tel que même si le roi de cœur avait appelé au secours personne n’aurait pu l’entendre !
Toutes les directions furent fouillées, minutieusement décortiquées, toutes les maisons furent visitées, avec l’accord bien sûr de leurs propriétaires, tous les bosquets furent traversés mais personne ne parvenait à trouver le roi de cœur !
C’était la catastrophe la plus totale, l’invraisemblable se produisait : le jeu était destiné à être mis à la poubelle !
Les cartes se retrouvèrent finalement au point de départ et se réunirent démoralisées ! Leur vie était en péril et tout cela à cause du roi de cœur !
Alors les piques, les cœurs, les carreaux et les trèfles se mirent en tas les unes sur les autres et le jeu ne bougea plus.
C’est alors que le petit Pierre arriva fièrement près de la table sur laquelle était posé le jeu de cartes. Il brandissait une carte en criant fièrement : « Maman, ça y est ! J’ai bien rangé ma chambre et j’ai retrouvé la carte que j’avais perdue ! ». Il fut félicité et posa vite le roi de cœur sur le tas puis repartit dehors jouer au ballon.
On entendit imperceptiblement un long soupir : les cartes furent soulagées de voir leur vie prolongée mais en même temps un léger grondement sourdait car le roi de cœur subissait quelques remontrances alors qu’en plus il n’y était pour rien dans sa disparition.
Toute cette histoire est pour vous dire, petits enfants de notre planète, que parfois quand vous ne rangez pas votre chambre, cela peut avoir de graves conséquences et qu’il faut souvent bien peu de temps pour semer la panique et beaucoup plus de temps pour rétablir l’ordre !
Danièle Berry, 12 septembre 2012
Dessin de l'auteure réalisé aux feutres
Date de dernière mise à jour : 27/06/2022
Commentaires
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- 1. Isabelle Berry Le 05/11/2024
J'aime beaucoup ce conte, que je lirai à mon fils Johan qui a une chambre rangée mais parfois des cartes manquantes dans ses jeux de cartes.
Ce jeu de cartes me fait penser à une équipe de sport où chacun est important et nécessaire pour que l'équipe puisse jouer. S'il en manque un, le jeu ne peut plus se faire correctement et c'est la perte. -
- 2. Berry Michel Le 04/11/2024
Ce conte est parmi mes préférés. "Un seul être vous manque et tout est dépeuplé" disait Lamartine, mais ici c'est la panique collective. Dans cette débandade, les troupes de cartes s'organisent chacune à sa manière, plutôt mal et cela illustre bien les situations de paniques qui peuvent saisir les collectivités humaines. La chute de l'histoire est inattendue et fait entrer en scène le petit Pierre, ce qui fait conclure ce conte par une morale pour enfants. Je ne suis pas sûr que les sens que je trouve à ce conte soient celui qu'y a mis l'auteure, mais il est tellement bien écrit et si original que je l'ai relu avec plaisir. -
- 3. Claude Berry Le 04/11/2024
Une autre manière de trouver la carte manquante, faire 8 colonnes de 4 cartes dans l'ordre croissant.
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