Le cercle

Le cercle se sentait renfermé sur lui-même, au point de se mettre à suffoquer. Il tournait de plus en plus en rond sans jamais voir une issue possible à son malaise. Il aurait bien aimé sortir de chez lui, mais ne parvenait pas à trouver de solution.

 A côté de lui s’étirait la ligne droite. Elle poussa un soupir d’aise pour manifester sa joie d’avoir bien dormi, tout en jetant un coup d’œil à son voisin qui paraissait dépérir. A force de s’allonger elle finit par sortir de la feuille de papier et décida de voyager.

Le cercle resta stupéfait de tant d’audace et tenta de l’imiter sans succès. Il vit la ligne droite s’enfuir de la maison à toute allure sans avoir eu le temps de lui demander de l’attendre. Comme il se sentait de plus en plus mal, il décida d’oser l’impensable : se redresser sur la feuille et se laisser rouler. Il fut emporté par sa vitesse et dérapa sur la feuille puis tomba par terre. Il ne lui restait plus qu’à franchir le pas de la maison pour visiter le monde.

A peine sorti, il leva la tête et aperçut dans le ciel une énorme boule ronde qui jetait des flammes. Il se mit à transpirer sans connaître la raison de son étrange sensation de chaleur. Roulant aussi vite qu’il le put pour se dégager de l’emprise du monstre qui le brûlait, il chuta dans une flaque d’eau. Il se sentit rafraîchi, mais sans comprendre ce qui lui arrivait. Il commença même à regretter son escapade. Finalement, il n’aurait jamais dû se plaindre de son sort et rester tranquillement à sa place. Mais il était trop tard : il devait désormais aller de l’avant. Il aperçut la ligne droite qui s’étirait de plus en plus. Il décida de la rattraper pour lui proposer de faire un bout de chemin ensemble. Il réunit toutes ses forces pour augmenter sa vitesse de rotation et, épuisé, il finit par la rejoindre. Il perdit l’équilibre et se retrouva à plat sur le sol juste devant la ligne droite qui le regarda d’un œil soupçonneux.

- Que vous arrive-t-il ? Lui demanda-t-elle dubitative.

- Il m’arrive que je voulais prendre modèle sur vous pour quitter mon enfermement mais que j’ai roulé un peu trop vite.

- Il me paraît évident que vouloir me copier n’était pas une bonne idée car nous sommes très différents. En revanche, ce qui est intéressant, c’est que vous ayez su vous adapter à la situation en roulant au lieu de vous étirer comme j’ai la faculté de le faire. Vous avez eu raison d’oser.

- Je vous remercie et je me sens un peu mieux maintenant.

- C’est normal : vous êtes sorti de votre enfermement en décidant de visiter le monde. Si vous le souhaitez nous pouvons continuer ensemble.

- J’en serais ravi ! Répondit le cercle, heureux d’avoir trouvé une complice.

- Alors allons-y : je suis certaine que nous découvrirons plein de trésors.

Le cercle et la ligne droite marchèrent côte à côte jusqu’à la nuit tombante. En levant la tête, ils aperçurent une boule dans le ciel autour de laquelle scintillaient de minuscules points. Les deux amis furent émerveillés par la beauté de ce spectacle et eurent envie de rendre visite à la magnifique boule qui commençait à éclairer le paysage. Ce voyage leur paraissait impossible à réaliser jusqu’à ce que la ligne droite eut une étrange proposition à faire au cercle :

- Il nous est impossible de nous envoler seuls, mais ensemble nous le pourrons.

- Je ne vois pas ce que vous voulez dire, lui répondit le cercle un peu embarrassé.

La ligne droite chuchota son idée à son ami qui en sauta de joie. Et l’on vit un étrange ballet que les animaux nocturnes admirèrent : le cercle roulait jusqu’au bout de la ligne droite qui s’étirait en montant vers le ciel. Ils arrivèrent ainsi jusqu’à l’énorme boule qui fut bien surprise de leur visite. Ils se posèrent épuisés mais heureux : la ligne droite s’était rétractée puis s’était posée au milieu du cercle, le séparant en deux moitiés égales. Chacun profitait ainsi de la présence de l’autre. Entourés de tous les feux du ciel, ils passèrent une nuit paisible. Le cercle ne se sentait plus enfermé et ne suffoquait plus.

 A l’aube, ils finirent par disparaître en laissant le jour se lever, tout en continuant leur voyage céleste.

 

Danièle Berry, 23 février 2022

Date de dernière mise à jour : 11/08/2023

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Commentaires

  • Isabelle Berry
    • 1. Isabelle Berry Le 30/10/2024
    Ne pas essayer de reproduire ce que les autres sont ou font, mais aller chercher au fond de soi ce qui nous permettra d'arriver au même objectif avec nos propres moyens. Le cercle illustre à merveille que les différences ne sont pas un frein, et peuvent même être complémentaires.
  • Berry Michel
    • 2. Berry Michel Le 28/10/2024
    Voici encore un superbe conte. Plutôt que de nous reprocher nos différences, il nous invite à chercher la façon dont nous pouvons en faire une richesse.
  • Catherine
    • 3. Catherine Le 28/10/2024
    Plus un conte est abstrait plus difficile est, pour le lecteur, d'en faire émerger le sens. Mais quand le sens se révèle à nous, comme dans les contes de Danièle, on ne peut que rendre hommage à son auteur.

    Le conte du cercle nous montre qu'il faut faire avec ses moyens sans vouloir imiter les autres. On peut parvenir au même résultat par des moyens différents adaptés à ce que nous sommes. Et parfois pour réussir on a besoin de mettre en commun nos moyens respectifs dans un bel esprit d'entraide, comme nous le montre l'union du cercle et de la ligne droite.

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