Le mime

Il avança sur la scène, imperturbable. Le visage couvert de blanc, les lèvres fermées, les yeux écarquillés, laissant apparaître deux prunelles noires. Son pantalon blanc et sa chemise blanche semblaient le porter comme un fantôme. Ses gestes lents et précis l’emmenèrent devant une grande glace placée au milieu de la scène. Mécaniquement, il en fit le tour. Les spectateurs furent un peu surpris de le voir apparaître de face quand il passa derrière. Quand il se mit de dos pour se voir dans la glace, son reflet s’afficha normalement. Il prit le miroir dans ses mains et le mit de profil par rapport à la salle. Et, stupéfaction, son corps apparut tout entier à droite et à gauche de la surface polie en symétrie, exactement comme lorsque nous nous regardons dans une glace !

Il commença sa pantomime. Le personnage de droite leva le bras droit et celui de gauche, en reflet, leva son bras gauche. Il fit de même avec le bras gauche et son reflet leva son bras droit. Il baissa la tête puis la releva. La glace renvoyait tous ses gestes en temps synchrone et à la perfection. La machine fonctionnait, tout se passait bien et après dix minutes, le mime et son reflet accordèrent à la perfection leurs différentes postures.

Le public d’enfants et d’adultes retenait son souffle puis riait, participant joyeusement à la scène qui se déroulait sous leurs yeux, sans chercher à s’expliquer par quelle magie il leur était possible de voir les deux personnages de profil ...

Le mime continua un peu, puis, brusquement, la mécanique sembla grippée. Il leva la jambe droite et en face de lui, son double leva sa jambe droite. Etonné, il la posa et cette fois leva sa jambe gauche et en face de lui, le personnage leva sa jambe gauche. Ce ballet dura cinq minutes, mais rien n’y fit, la glace semblait ne plus répondre correctement.

Les spectateurs n’en croyaient pas leurs yeux. Que se passait-il ? Finalement les uns chuchotèrent qu’il devait y avoir deux personnes en chair et en os et pourtant d’autres soutenaient que ce n’était pas possible, puisqu’un seul mime était arrivé sur la scène au début de la représentation. Personne ne comprenait plus rien !

Enervé, le mime de droite s’approcha du miroir. Celui de gauche s’en éloigna. Alors d’un mouvement décidé, il saisit la glace, la souleva puis l’emporta d’un pas énergique derrière les rideaux. Le mime de gauche resta immobile sur la scène, stupéfait de subir un tel affront. Il se retourna vers le public, salua et gagna à son tour les coulisses.

Les spectateurs restèrent silencieux, ne comprenant pas si le jeu était fini ou pas.

C’est alors que le mime reparut sur scène, le visage couvert de noir, les lèvres ouvertes, les yeux mi-clos, laissant apparaître deux fentes blanches. Son pantalon noir et sa chemise noire semblaient le fondre dans la nuit qui tomba sur scène, lorsque les projecteurs s’éteignirent.

Les spectateurs applaudirent du bout des doigts. Certains restèrent assis pendant que d’autres se levèrent pour gagner la sortie.

La salle se vida. Seul resta un spectateur, assis tranquillement, le visage couvert de blanc, les lèvres fermées, les yeux écarquillés, laissant apparaître deux prunelles noires. Son pantalon blanc et sa chemise blanche semblaient le porter comme un fantôme. Ses gestes lents et précis ...

 

Danièle Berry, 7 mai 2015

Date de dernière mise à jour : 27/06/2022

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