Le ruisseau
C’était un tout petit ruisseau qui rêvait de devenir un grand fleuve. Jours et nuits il n’avait de cesse de vouloir grandir et grossir. Il admirait tant les rivières qui se pavanaient fièrement devant lui, le narguant même, et surtout les fleuves qui ne le voyaient même pas, lui si petit ! Que pouvait-il faire pour changer sa destinée ? Y avait-il une solution quelque part ? Il était devenu si triste qu’il finit par couler de moins en moins, tant et si bien que cela commença à poser un problème à ses habitants qui ne comprenaient pas ce qui se passait. En secret, il se tint un conciliabule. Ecrevisses, petits poissons, libellules, grenouilles, mouches aquatiques et tous les êtres microscopiques se réunirent pour trouver une solution à la catastrophe qu’ils allaient subir si leur petit ruisseau continuait à déprimer. Qu’allaient-ils tous devenir s’il décidait de s’assécher totalement ? Sans eau, ils allaient eux aussi finir par disparaître ! Un porte-parole devait être mandaté pour tenter de raisonner le ruisseau. Comme il fallait user de délicatesse pour ne pas le blesser, qu’il fallait aussi savoir négocier, il fut reconnu que cette mission ne pouvait convenir à l’écrevisse, dont les pinces auraient pu se refermer brusquement pour le convaincre. La grenouille aurait pu aussi lui faire peur avec sa grosse voix, les poissons auraient pu changer de direction brusquement comme ils savaient si bien le faire, la libellule était souvent trop volage, les mouches aquatiques auraient des difficultés à se poser, car l’eau avait presque disparu et quant aux êtres microscopiques, ils auraient eu bien du mal à se faire entendre, tellement ils étaient minuscules précisément ! Alors qui donc pouvait se charger de cette mission périlleuse ? Tous se regardaient sans trouver de solution, lorsqu’un seau roula subitement au pied du ruisseau. D’où venait-il donc ? Peu importe, car sans le vouloir, les amis du ruisseau trouvèrent un allié. Le seau se pencha vers le peu d’eau qui restait, afin de se remplir, mais ce fut en vain. Alors il s’adressa en ces termes au léger fil d’eau qui continuait à ruisseler à peine :
- Que se passe-t-il ici ? Comment cela se fait-il qu’il n’y ait plus la possibilité de se remplir d’eau ? C’est catastrophique, car on va venir bientôt me chercher et si je suis vide, ce sera très embêtant pour les propriétaires de la maison qui ne pourront plus boire et aussi pour moi, car je ne servirai plus à rien et ils finiront par me jeter ! Hello, je vous parle ! Pourquoi ne voulez-vous donc plus couler ? Vous ne voyez donc pas que nous avons tous besoin de vous.
- Je suis désolé, mais je suis déprimé et n’ai plus envie de couler ! Rétorqua le ruisseau.
- Et pourquoi donc ? Vous l’avez décidé comme cela sans réfléchir ?
- Pas du tout ! Et même bien au contraire, je ne suis qu’un misérable ruisseau et je ne sers à rien. Je suis trop petit et trop faible. Regardez les rivières et les fleuves, eux au moins, ils servent à quelque chose ! Les barques et les bateaux les empruntent, ils regorgent d’eau et ne seront jamais à sec ! Moi, j’ai une vie misérable …
- Ta, ta, ta ! Arrêtez de dire n’importe quoi ! Avez-vous réfléchi d’où viennent les rivières et les fleuves ? Il faut bien les alimenter ! Leur eau ne vient pas que du ciel mais aussi des sources et des ruisseaux comme vous ! Et puis je vous informe, car apparemment vous ne le savez pas, que ce sont les petits ruisseaux qui font les grandes rivières ! Votre fonction est donc très importante, puisque sans vous, il n’y aurait ni rivières, ni fleuves, ni mers, ni océans ! Vous êtes certes petit mais votre vie a un sens. Il n’y a pas de raison de déprimer de la sorte, chacun a un rôle à jouer dans la vie. La mienne c’est de me remplir pour apporter de l’eau à mes propriétaires et la vôtre est de m’offrir votre eau. De plus vous êtes pur, ce qui n’est pas le cas des grandes rivières et des fleuves trop souvent pollués. Réfléchissez bien à ceci : ce ne sont pas les plus forts, les plus grands, les plus importants, les plus riches qui permettront au monde de continuer, mais les petits, qui comme vous, ont une mission, celle de continuer à exister contre vents et marées, quoi qu’il arrive !
Une volée d’applaudissements acclama le seau. A n’en pas douter les écrevisses, les petits poissons, les libellules, les grenouilles, les mouches aquatiques et tous les êtres microscopiques avaient trouvé leur porte-parole.
Alors, motivé par tant de gentillesse et de reconnaissance, le petit ruisseau se remit à couler de plus belle. Jamais on ne lui avait parlé de la sorte, jamais il n’avait été aussi secoué, mais il se rendit à l’évidence : le seau et tous ses amis avaient raison, à chacun le devoir incombait de tenir son rôle sans jamais baisser les bras, ce qu’il fit pour … l’éternité, enfin du moins si tant est que la Terre est éternelle ! Mais bien sûr, à cette question, personne n’aurait pu apporter de réponse, ni les écrevisses, ni les petits poissons, ni les libellules, ni les grenouilles, ni les mouches aquatiques, ni tous les êtres microscopiques et ni le seau, bien sûr !
Danièle Berry, 19 février 2019
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