Le sculpteur et sa statue
« L’inventeur ne connaît pas la prudence ni sa sœur cadette, la lenteur. Il bondit, il va d’un saut sur le domaine vierge et, de ce seul fait, il le conquiert. » (C. Nicolle)
Bien emmitouflé au centre de la Terre, le feu couve. Le magma bouillonnant réchauffe le manteau protecteur. De petites bouffées s’échappent des cheminées des volcans jonchant la surface du globe.
Il se prélasse au pied des charbons ardents et s’étire après sa longue nuit.
La chaleur dégagée par le feu du volcan lui réchauffe le corps. Son énergie le remplit d’allégresse et il se met en route.
Enveloppé de son manteau de solitude, il arpente les monts et les plaines. Il sait qu’il se suffit à lui-même mais son besoin de créativité se réveille à nouveau. Il ramasse une bûche et de son couteau à la lame acérée commence à la tailler.
Tel Pygmalion, il sculpte une statue qui peu à peu prend forme sous ses doigts agiles. Il lui fabrique un corps fin et gracieux. Ses bras et ses jambes se profilent peu à peu. La lame découpe le bois et la tête de la créature apparaît. Il dessine patiemment les yeux, le nez, la bouche, les oreilles de son effigie et lui cisèle un à un des cheveux longs qui lui descendent jusqu’aux épaules. Il impulse un mouvement ondulé dans la chevelure blonde et le visage de la statuette s’éclaire d’un magnifique sourire.
Il dessine toutes ses parties les plus intimes et leurs rondeurs naissent voluptueusement sous ses doigts agiles.
Peu à peu elle prend de plus en plus vie dans les mains du sculpteur qui commence à l’aimer.
Il médite à ce que pourrait être sa vie avec cette créature qu’il a fondée à son image.
Il la palpe dans ses mains songeant encore à toutes les imperfections qu’il pourrait améliorer.
Il la tourne, la retourne et réfléchit silencieusement. Aucun bruit ne le trouble. Seuls les crachotements des fours naturels se font entendre.
Il la veut parfaite et se met à en gommer tous les moindres défauts.
Jour après jour, nuit après nuit, il réfléchit à ce que pourrait être la perfection de son invention. Il cherche des habits qui pourraient mettre en valeur la beauté de son corps. Il parcourt les champs de coton pour en cueillir les duvets les plus doux. Il tisse la soie qu’il prélève des chenilles. Il tond la laine des moutons qu’il élève. Il extrait des colorants des plantes qu’il cueille. Il tanne la peau des biches et chevreuils qu’il chasse. Il creuse les bouts de bois, les polit.
Avec la soie, il coud de sa fine aiguille dorée des frivolités audacieuses.
Avec le coton, il crée des robes voluptueuses.
Avec la laine, il tricote un manteau.
Avec les peaux, il lui taille des souliers.
Avec le bois, il lui cisèle des perles.
Avec les colorants, il teint ses habits, ses bijoux et des souliers des plus belles couleurs et lui invente les plus beaux fards.
Il pose sa statuette devant lui et la contemple tout en rêvant.
Galatée est née et le sculpteur en est tombé amoureux.
Il se demande comment la rendre réelle et s’en éprend tellement que Vénus, déesse de l’amour, lui donne vie.
Le sculpteur émerveillé de son invention devenue réalité lui promet de la protéger pour l’éternité.
Désormais il n’est plus seul et arpente le monde avec sa créature à ses côtés.
Danièle Berry, 19 septembre 2011
Date de dernière mise à jour : 11/04/2025
Commentaires
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- 1. Claude BERRY Le 16/04/2025
Ce conte m'a beaucoup plu. -
- 2. Michel Berry Le 11/04/2025
Très beau conte, Pygmalion amoureux de sa statue : une métaphore de toute forme de création, dans laquelle le créateur se réalise grâce à sa création.
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